J'ai eu la malchance de naître dans un monde qui n'était pas fait pour moi. Dans le monde de la haute, de la bourgeoisie, la noblesse même, comme en témoigne mon identité réelle. Car "Célia Kominsky" n'est qu'un substitut, un patronyme oobtenu par démarche de justice. A ma naissance, et jusqu'à mes 18 ans, et c'est mon véritable nom aujourd'hui, j'étais connue comme Célianthe Elizabeth Anne-Marie KOMINSKY DE SAINT-ANDRE.
Car oui, je suis issue d'une famille noble. Et comme toute personne de cette souche, je n'ai pu me mêler aux autres, aux enfants de mon âge. Parce que de mon côté, "on ne doit pas s'abaisser à cotoyer des gens qui ne sont pas de notre milieu" et parce que de l'autre côté, "ne traîne pas avec les bourges. Une seule personne a, dès le début, su échapper à cette règle. Issue d'une famille banale, ayant des origines italiennes, Gaëlle Monteccini, âgée d'un an et demi de plus que moi, avait décidé d'être l'amie de Célianthe, cette petite fille qui était toujours toute seule. Ses parents n'avaisnt pas de préjugés sociaux, pour eux je n'étais pas "une fille de bourge" mais l'amie de leur fille. Malheureusement, notre amitié élevée ne nous permit pas d'aller jouer l'une chez l'autre, puisque pour mes parents, "Gaëlle n'est pas une fille de notre rang." Nous nous sommes donc contentées des cours de récré, jusqu'à l'âge de 13 ans (14 et demi pour Gaëlle) lorsqu'elle dût déménager. Dès ce jour nous décidâmes de rester en contact. Gaëlle devint ma confidente : au lieu de tenir un journal, je lui envoyais des lettres. Et elle trouvait les mots pour me réconforter. Du moins pour essayer. Parce qu'il subsistait toujours quelques points noirs pour moi ; encore aujourd'hui je les retrouve : les gens sentent quelque chose de différent en moi, et me fuient.
Il faut quand même noter qu'à 22 ans aucun garçon n'ait jamais traversé ma vie. Mes pensées oui, ma vie non. Parce qu'au collège, au lycée, on ne sort pas avec la bourge du coin. Et ici, je ne sais pas. Il doit rester une trace, un quelque chose qui repousse. Et je pressens que cela va durer. Ici, je n'ai pas de patit ami, je n'ai pas d'amis non plus. Les personnes dignes de ce titre ont quitté l'université. J'qai quoi alors ? des potes ? même pas. Des "connaissances". Les gens de la section psycho. Et des gens, beaucoup de gens, que je connais de vue, de nom, et qui ne me remarquent même pas. Ne voient en moi qu'une petite gamine blonde, et ne me reconnaissent pas d'une fois sur l'autre. C'est le cas de l'élite musicale de l'université - Noah Carvahllo, Christopher Adeli et Emmanuel Faris. Ceux-là tout le monde les connaît, ils connaissent tout le monde, mais ils sont pas foutus de se rapprocher ne serait-ce qu'un peu de 'la blondasse qu'est presque toujours dans la salle de musique quand ils y viennent'.
Moi, personne ne vient vers moi, je suis "une fille à l'air sympa" et hop fini, c'est tout. Alors j'ouvre les yeux, je tends l'oreille, et maintenant je sais plein de choses sur plein de gens qui ne savent même pas que j'existe. Que la soeur de Noah, Anna, était au Cassyopé l'autre soir avec Ashton Miwaku, qui est lui-même poursuivi par "Moi want to être the most plus belle" Ashley Scott, dont la soeur Emmanuella "poupée gonflable" a décidé de mettre Noah dans son lit, Noah qui en bave pour Luelle, et réciproquement, et moi qui sais tout, vois tout, entends tout, je plains la personne qui devra vider la corbeille de la salle de musique. J'ai aussi de fortes présomptions en ce qui concerne certains secrets qu'il est nécessaire de cacher ici. OK, je le clame ici haut et fort : je suis presque sûre de pouvoir affirmer précisément qui a des dons ici. Et ça me permet de comprendre certains comportements étranges. Il vous sera facile de comprendre que je refuse de dévoiler les noms, par sécurité pour ces personnes que j'admire de réussir à conserver une consistance, une vie, en plus de ce fardeau. Si c'est vous qui lisez ces mots, cher M. Rachin, sachez que je trouve votre politique d'extermination monstrueuse et digne du VIIè siècle, et qu'à mes yeux, n'importe quelle petite pétasse est mille fois plus élevée que vous.
Pour ma part, je n'ai pas de vie sociale, et mon avenir professionnel est compromis par mes origines. Il semble de plus que ma famille soir fortement impliquée dans l'accident qui a coûté la vie à ma seule amie, Gaëlle.
Me revoilà donc seule et peu confiante. Et j'ai raison de l'être. Cette fois, c'est la médecine qui me le confirme. De génération en génération, il s'est transmis sans se manifester, et maintenant il frappe.
D'après les médecins, je devrais décéder d'ici vingt ans maximum, d'un cancer de la moëlle osseuse trop étendu pour être définitivement soigné. La médecine peut de nos jours repousser les affections de ce type, mais cela demande de nombreux traitements, chimiothérapies, opérations chirurgicales mensuelles, suivis médicaux hebdomadaires, médicaments journaliers. Et les effets secondaires : perte de cheveux, faiblesse physique, fatigue extrême dûes à la chimiothérapie, affaissement dû à la difficulté de maintien des os, problèmes divers engendrés par les cellules non renouvelées, puis cela se terminera par une paralysie partielle puis complète : détruites par la fatigue, les cellules nerveuses ne seront pas renouvelées. "Neuro-déficience" disent les médecins. Sans s'en soucier. Eux, ils s'en fichent. On les paye, ils bossent.
Mais je n'ai pas l'intention de vivre 20 ans de thérapies difficiles pour une maladie incurable qui fera de moi la nouvelle "Jean-Dominique Bauby".
Alors, comprenez mon choix.
Et souvenez-vous toujours que naître avec une cuillère en argent dans la bouche n'apporte pas que du bonheur.
Adieux.
Célia Kominsky
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