Look at me, I'm NOT Sandra Dee

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Comment j’en suis arrivée à cette situation critique et ridicule de me retrouver en larmes dans les wc pour hommes ? Pour une raison à première vue pitoyable en plus de ça ! Je sais que c’est ridicule de se mettre dans un état pareil pour si peu, mais pour moi, ça veut dire beaucoup plus…
J’ai finalement passé les auditions pour le premier rôle féminin, Sandy Olsen, il y a quelques jours. Des jours entiers à travailler Hopelessly devoted to you, interdisant à mon esprit de trop divaguer, à essayer de chasser Adrian de mes pensées vagabondes. Je me suis imposée une telle rigueur pour le travail que je pensais à peine à aller manger. Ma colocataire m’a chassée de la chambre, visiblement énervée de m’entendre chanter, fredonner, et d’entendre Grease à chaque fois qu’elle passait le pas de la porte. Je me suis retrouvée à aller chanter dans les douches -l’acoustique y est vraiment fabuleuse dans le silence de la nuit- mais aussi en salle de musique, dans le local d’enregistrement qui me permettait, où j’ai passé de nombreuses heures dès qu’il n’y avait personne. Cette pièce est fabuleuse : on n’entend rien de ce qui se passe à l’extérieur, et il y a une glace sans tain, pour ne pas être déstabilisée par les autres quand on s’enregistre.

C’était une semaine particulièrement stressante, mais j’étais vraiment contente de mes progrès, et je me suis donnée beaucoup de mal. J’ai même essayé d’apprendre une petite chorégraphie, ce qui était finalement très sobre au vu de la chanson que je présentais. Les auditions sont arrivées, et malgré le stress qui me dévorait, j’y suis allée, et j’ai essayé d’oublier que c’était un jury en face de moi. J’ai repoussé la terreur qui commençait à dévorer mes entrailles en imaginant que je chantais pour mes deux papas. La fierté dans leur regard me donnait beaucoup de courage. Puis je me suis surprise à imaginer un troisième membre du jury qui est finalement devenu le seul présent à mesure que je chantais. Adrian. Ça fait des jours qu’on ne s’est pas reparlé, depuis qu’il est venu à la maison après m’avoir accompagnée au refuge. Je l’avais prévenu que les auditions approchaient et que j’avais besoin de rester concentrée, pour le moment… On s’est croisé une fois ou deux, alors que je sortais de la salle de musique, je l’ai aperçu dans un caisson en train de jouer et je l’ai observé sans oser le déranger. On s’est échangé également quelques messages, parce que l’on a récupéré nos numéros de téléphone, mais Adrian a respecté à merveille ma petite bulle de concentration, sans pour autant disparaître entièrement.
En fait, c’était parfaitement dosé… On s’est surtout échangé quelques smileys. Et, la veille des auditions, il m’a encouragée d’un petit smiley. Une douce attention…

A la fin de ma performance, on m’a demandée pour quel rôle j’auditionnais, puis on m’a avertie que malgré ma très bonne voix, mon physique présentait un obstacle pour le rôle. Évidemment, après ça, ma confiance s’est envolée quand ils ont dit qu’ils allaient quand même étudier ma candidature. J’ai passé les jours suivants cloîtrée dans ma chambre dès que je n’avais pas cours. Je ne mangeais pas, j’étais stressée, trop même pour aller ailleurs qu’étudier. Et au bout de trois jours interminables, les résultats ont finalement été affichés sur le tableau, devant la salle de musique.

Après avoir envoyé un petit smiley qui croise les doigts à Adrian, je m’y suis rendue, la peur au ventre.
La suite, vous pouvez l’imaginer… Je n’ai pas eu le premier rôle féminin.
Mais ce n’est pas le pire. Je dis bien le pire, parce que je crois que j’aurai préféré ne pas apparaître dans la liste du tout. Un des garçons de mon cours m’interpelle, m’indiquant qu’on va jouer tous les deux.

"C’est… c’est pas possible, je… j’ai auditionné pour le rôle de Sandy, pas… "

Il sourit et ne comprend pas le problème, en haussant un peu les épaules :

« Ca arrive parfois qu’ils retiennent une personne pour un autre rôle qui conviendrait mieux, quel est le problème, c’est probablement le second rôle féminin, Rizzo, c’est pas si mal, non ? »

"Oui mais… "

Je ne peux pas lui expliquer que je ne peux tout simplement pas jouer ce genre de personnage, son attitude, tout est diamétralement mon opposé. Et l’idée même d’avoir toutes ces scènes à jouer avec lui comme partenaire, non, impossible. Je sens déjà la tête me tourner et une crise d’angoisse me dévorer. Jamy, le garçon à qui je parle essaye de me retenir, me demandant si ça va bien mais je m’écarte brusquement de lui, évitant le contact de sa main sur mon bras. Il ne comprend pas et je bredouille que tout va bien, mais je me précipite aux toilettes, les yeux embués de larmes, tant et si bien que je me trompe de porte et débarque chez les garçons. Je pleure à grosses larmes, cachée dans une cabine, ne sachant trop si c’est la déception, l’inquiétude, la fatigue ou ma récente anémie qui me met dans un tel état.

« Euh… tout va bien ? » me demande une voix de garçon, hésitante et je renifle. Qu’est-ce qu’il fait dans les toilettes des filles ?

" O… Oui, ça va… euh… tu peux sortir maintenant… ?"

Un silence d’incompréhension.

« C’est-à-dire que j’aimerais bien pisser. »

Je réalise ma bourde quand j’ouvre un peu la porte, après m’être mouchée dans du papier toilette, et réalise la présence des urinoirs que je n’avais pas vu dans mon torrent de larmes à l’aller. Je me cache brusquement les yeux avec mes mains et me précipite vers la sortie, à tâtons, cherchant la poignée, en me confondant en excuses :

"Désolée ! Dé…désolée je me suis trompée ! "

C’est parfait : maintenant je peux rajouter la honte à mon ascenseur émotionnel du jour…

Je suis encore plus nerveux que si c'était moi qui avait passé l'audition. Les résultats pour Grease sont affichés aujourd'hui, j'ai voulu envoyer un message à Sasha hier soir mais impossible de formuler quoi que ce soit. C'était assez frustrant de constater que je suis incapable d'écrire trois mots d'encouragements alors que je peux écrire une voire deux chansons dans une journée.

Me voici donc aujourd'hui, accompagné de Noah, prêt à découvrir si Sasha a décroché le rôle qu'elle espérait tant. Noah me suit mais en réalité je ne suis pas sûr qu'il sache vraiment pourquoi nous sommes là. Je lui ai dis mais il est complètement aspiré dans une revue sur l'Egypte qui parle d'une momiejesaispasquoi, ses lunettes sur le nez et l'air hyper concentré. Il ne regarde absolument pas où il va, c'est un miracle qu'il n'est écrasé personne. Son nez est encore bleu du coup qu'il a reçu de Luella et je retiens un rire nerveux en repensant à la scène.

Nous voilà arrivés devant les affiches. Je prends une grosse inspiration et cherche le prénom de Sasha...en vain...ce n'est pas son nom qui apparaît en face de celui de Sandy.
"Merde !" je jure bruyamment, m'attirant le regard interloqué de plusieurs personnes. Mais je m'en contrefous, Sasha n'a pas eu le premier rôle, elle doit être bouleversée.
Noah lève la tête de sa revue et fronçe le nez sur la feuille:

"Elle a quand même un rôle, c'est mieux que rien."

Je suis choqué qu'en fait il sache pourquoi nous sommes là mais je n'ai pas vraiment le temps de réagir car il enchaîne, fidèle à lui-même: "Mec, y'a des chiottes ici ?".
Je pousse un soupir et lui indique du pouce la porte située derrière nous.
Rizzo n'est pas le rôle qu'elle attendait. Si je la connais aussi bien que je le pense, elle doit être en train de paniquer. Rizzo c'est l'antipode de Sasha. Elle est sexy et rebelle et insolente et ... enfin Sasha est sexy bien sûr mais pas comme ça et ... . Je passe ma main dans mes cheveux et pousse un nouveau soupir. Il faut que je la trouve. Je me dirige vers les toilettes pour prévenir Noah que je pars à la recherche de Sasha et que je le retrouverais plus tard.
Mais au moment où je m'apprête à attraper la poignée, la porte s'ouvre à la volée et Sasha se tient devant moi, une main sur les yeux.

"Désolée ! Dé…désolée je me suis trompée ! "

J'échange un regard avec Noah par-dessus la tête de Sasha qui me signifie clairement qu'il n'a rien fait.
Je prends doucement la main de Sasha, la faisant sursauter au passage. Son regard ébahi m'indique que je suis la dernière personne qu'elle s'attendait à trouver là.

"C'est bon Sasha, viens avec moi."

Je l'entraîne dans mon sillage en lui tenant fermemant la main. Elle me suit sans résistance et je la mène jusqu'à un studio d'enregistrement vide. Je ferme la porte derrière moi et Sasha et moi nous regardons en silence pendant quelques secondes avant qu'elle ne se remette à pleurer. J'hésite un peu sur la marche à suivre: envoyer des messages c'est une chose mais cette situation est quand même différente.
Je me gratte la nuque mais au fond je sais ce que je dois faire. Encore une fois sans lui laisser le temps de réaliser je m'avance et la prend doucement dans mes bras. Je sais que les contacts physiques ça n'est pas vraiment son truc et si elle cherche à se dégager je ne m'y opposerai pas mais je pense que là ça peut lui faire du bien. Elle se raidit mais ne se dérobe pas alors, délicatement, je pose ma joue sur le sommet de son crâne. Et je la berce doucement en fredonnant. En vrai c'est ce que je fais avec ma petite soeur mais c'est la seule chose qui me soit venu à l'esprit.

Quand les sanglots de Sasha se sont calmés et que mon tee-shirt a officiellement pris la fonction de serpillère, je desserre mon étreinte et trouve son regard:

"Ca n'est pas le rôle que tu voulais et encore moins celui pour lequel tu as travaillé, je sais. Mais peut-être que ça peut être positif. C'est peut-être l'occasion pour toi de te dépasser en sortant de ta zone de confort. Qui sait ? Ca peut même être une révélation ! "

Il y a beaucoup d'enthousiasme dans ma voix mais la voir dans cet état est un véritable crève coeur.

"Je peux t'aider à répéter si tu veux. Autant que tu le souhaites."

Je regarde autour de moi et lui montre la table de son et d'enregistrement et le studio vide, derrière, en souriant:

"On peut même commencer maintenant si tu veux. Tout ce que tu veux. Mais tu vas tout déchirer tu verras. J'ai rarement tord en matière de talent, tu sais!"

Quand je sens qu’on m’attrape en douceur par la main, je fais presque un bond de chat tellement je suis à la fois surprise et stressée par ce contact inattendu dans ce que je sais être des toilettes pour garçons, maintenant. J’ouvre les yeux en grand et je m’attends à beaucoup de choses mais pas à me retrouver face à Adrian. Je commence à croire qu’il apparait à la demande, quand je le souhaite très très fort. Je reste bêtement là, la bouche ouverte aussi rond que mes yeux.

"C'est bon Sasha, viens avec moi."

Visiblement, non, je ne rêve pas, et je me sens d’autant plus ridicule d’être en larmes, en face de lui, sortant tout droit des WC. Il m’entraîne dans son sillage, sans lâcher ma main, et un instant je me demande s’il n’est pas furax, j’ai l’impression qu’il va me passer un savon mais non, je chasse vite cette idée ridicule. Adrian est trop prévenant pour ça, et je sais qu’il cherche simplement à m’arracher à mon désespoir. Pour m’emmener où, ça, je ne le sais pas.
Mais je ne tarde pas à reconnaitre les couloirs que nous remontons jusqu’à atteindre le studio d’enregistrement qui par miracle est vide. Tant mieux, je n’ai vraiment pas envie d’être vue en larmes. J’ai fais de mon mieux pour retenir mes larmes mais quand Adrian referme la porte derrière nous et que nous échangeons un regard en silence pendant une poignée de secondes, je ne tiens plus et je fonds de nouveau en larmes, cachant mon visage dans mes mains.
Impossible d’articuler quoique ce soit entre mes sanglots et subitement je sens des bras m’enlacer et je me raidis automatiquement… Mais étrangement, je ne cherche pas à me délivrer. Pas avec lui… Je garde les yeux fermés, reniflant frénétiquement en cherchant à calmer mes sanglots quand je sens sa joue un peu râpeuse contre mon front. Je l’entends fredonner alors que je me laisse bercer en douceur et je dois avouer que ça finit par fonctionner et bientôt ma dernière larme vient mourir sur son t-shirt déjà trempé. Dans un petit reniflement, je couine un petit :

"… désolée pour ton t-shirt… "

Il desserre son étreinte pour mieux planter son regard dans le mien et mes mains cachées dans mes mains je viens essuyer mes yeux et mon visage pour me rendre peut-être un peu plus présentable, le regard un peu fuyant.

"Ca n'est pas le rôle que tu voulais et encore moins celui pour lequel tu as travaillé, je sais. Mais peut-être que ça peut être positif. C'est peut-être l'occasion pour toi de te dépasser en sortant de ta zone de confort. Qui sait ? Ça peut même être une révélation ! "

Le fait qu’il sache déjà tout de ma tourmente sans que j’ais à m’expliquer me surprend et me touche. N’importe qui pourrait trouver ça ridicule et ne comprendrait pas le fond du problème, mais lui oui. Et ça m’émeut encore plus au point de rouvrir les valves de mes larmes. Ma lèvre inférieure tremblote un peu alors que je lutte pour ne pas me remettre à pleurer.

"Je peux t'aider à répéter si tu veux. Autant que tu le souhaites."

M’aider à répéter ? Avec tout le travail qui l’attend déjà ? Je frotte une nouvelle fois mes yeux avec mes manches trempées alors qu’il me montre le caisson d’enregistrement vide, derrière, en m’encourageant d’un sourire.

"On peut même commencer maintenant si tu veux. Tout ce que tu veux. Mais tu vas tout déchirer tu verras. J'ai rarement tord en matière de talent, tu sais !"

Tout ce que je veux, moi, pour le moment, c’est disparaître sous ma couette avec Stitch dans mes bras et me lamenter sur mon sort devant un film de Noël romantique -mon plaisir coupable, parce qu’on ne voit jamais de neige à Hawaï, notamment- avec un chocolat chaud guimauve et… Je coule un regard à Adrian en tâchant de ne pas paniquer une nouvelle fois.

"Je… Je vais jamais y arriver, c’est… " Les mots me manquent et je me mords un peu la lèvre et gênée, je rajoute : "Je n’arrive même pas à… "

Je me prends la tête entre mes mains et me laisse tomber dans un fauteuil en soupirant. Adrian a sûrement raison et je me prends probablement trop la tête à ce sujet. Après tout, le personnage de Sandy avait ses inconvénients, même si je m’étais mentalisée naïvement pour les scènes de baisers. Finalement, Rizzo n’est peut-être pas si insurmontable que ça. Je prends une inspiration, réalisant que je n’ai même pas remercié Adrian pour tout ce qu’il a fait pour moi, et ce qu’il continue de faire. J’entortille mes doigts et finis par lui dire :

"Adrian ? … Merci… pour tout. "

Je me mords la lèvre en lui coulant un petit regard : sa présence et tout ce qu’il fait pour moi me donne du courage et je ne suis pas certaine d’où ça va me mener, mais au moins, j’aurai essayé, non ? Alors, après hésitation, je fouille dans mon sac le script de Grease qui ne me quitte plus depuis que je me prépare aux auditions, et, replaçant une mèche derrière mon oreille je m’approche avec hésitation d’Adrian. La perspective de passer un peu de temps avec lui après ces deux semaines éprouvantes de stress intense et de privations en tout genre ne me fera probablement pas de mal…

"Tu… es sûr d’avoir du temps, pour ça ?... Je… je pourrais peut-être t’aider si tu veux, en échange ?"

Il acquiesce et me rassure : non ce n’était pas des paroles en l’air, il est vraiment prêt à prendre le temps de m’aider avec Rizzo. Je m’installe à côté de lui et commence à feuilleter le script en rougissant à chaque réplique que je lis.

"Euh… on pourrait… commencer par une chanson ? Je crois que ça… me tétaniserait moins, finalement… Et tu pourrais jouer, toi aussi… "

Je regarde les différentes chansons de Rizzo et je pense que celle qui me touche le plus, c’est There are worse things I could do et je la propose à Adrian qui cherche déjà la partition pour l’étudier et je me rapproche, un peu nerveuse.