Dance with me [Gymnase]

"Non, clairement ça ne va pas… Emma tu peux couper, s’il te plaît ? "

Je soupire et ma partenaire de danse pour l’année se recroqueville sur elle-même, et un instant j’ai l’impression qu’elle va se mettre à pleurer quand Emma éteint la musique. Je suis quelqu’un de vraiment patient, mais je reste avant tout professionnel. Et là, je suis confronté à un véritable problème. On est sur ce pas de danse depuis presque une semaine, et je ne vois aucune amélioration. Mais pas moyen d’en parler avec Emily : la demoiselle est trop sensible et la moindre remarque la fait partir dans une crise de larmes. D’ailleurs, j’ai intérêt à bien chercher mes mots, là, maintenant, parce que je sens qu’elle est à deux doigts de partir pour un sanglot. Je lance un regard désespéré à mon ancienne partenaire, Emma, qui hausse les épaules en soupirant. Merci de m’aider… Bon, avec du tact.

"Ecoutes, Emily… Quelque chose ne va pas ? Ne le prends pas mal, ce n’est pas contre toi mais… Attends, ne pleure pas, il n’y a rien de tragique là-dedans… ! Emily ?"

Elle ne prend pas le temps de m’écouter et récupérant ses affaires, elle s’enfuit du gymnase, en pleurs, me laissant comme un con. J’ai l’air si dur que ça ? Je soupire, fixant la porte qu’Emily vient de passer : j’espère qu’elle ne prend pas toute cette histoire trop à cœur, parce que concrètement, ça ne vaut pas la peine qu’elle se mette dans un état pareil pour ça. C’est vrai que j’ai remarqué qu’Emily était un peu distraite, cette semaine, et un peu maladroite, mais elle avait l’air toujours ailleurs.

"Eh bien, elle a l’étoffe d’une diva : elle a déjà la susceptibilité… " plaisante Emma, en descendant des gradins, où elle se trouvait avec le poste de musique. Mais je suis plus soucieux qu’elle sur ce point-là.

"Je suis vraiment si dur ? "

C’est vrai qu’Emily semble vraiment très sensible, mais si le problème venait de moi, tout compte fait ? Emma se met à rire et pose une main sur mon épaule pour me rassurer :

"Mais non, ne te prends pas la tête avec ça. Elle est juste hyperémotive, elle s’en remettra. Tu fais quelque chose ce soir ? "

J’hausse un sourcil et elle me sourit en récupérant son sac :

"Je m’en vais bientôt, je te rappelle, alors je me suis dit qu’on aurait pu aller prendre un verre tous les deux… "

Je crois qu’elle tente une approche, et je fronce les sourcils : il n’a jamais été question de ça entre nous, quand on était encore partenaires, alors je suis un peu surpris. Mais j’ai d’autres projets, pour ce soir.

"Désolé, j’attends quelqu’un, ce soir. "

Elle hausse un peu les sourcils de surprise, et quand la porte du gymnase s’ouvre pour laisser entrer Anna, Emma pousse un léger ricanement, me lançant un regard lourd de sous-entendu.

"Je vois… Eh bien, un autre soir alors… "

Elle s’en va et je la vois bien lancer un regard vertical à Anna comme si elle venait de la passer au rayon X. Je soupire mais retrouve mon sourire quand Anna me rejoint. Je prends ma bouteille d’eau et m’octroie une bonne gorgée. Il commence à se faire tard, et je n’ai pas arrêté aujourd’hui. Mais j’avais promis un premier cour, à Anna, et c’était le seul moment de la journée que j’avais de disponible.

"Anna… Tu vas bien ? Alors, prête pour ton premier cours ? " lui dis-je, un sourire aux lèvres.

Je ne sais pas si Emma dit quelque chose à Anna, mais j'ai bien vu le regard vertical qu'elle lui a adressé. J'ai deviné qu'elle l'avait jaugé, et j'ai peur un instant que ça mette Anna mal à l'aise. Emma transpire de confiance en elle, et elle a tendance à avoir une personnalité plutôt... écrasante. Elle n'a pas vraiment d'amies, dans ce cours. Elle est plutôt jolie, avec ses longs cheveux roux presque ardents et ses yeux verts plein de malice, et pire que tout, elle est très talentueuse : c'était sans doute l'une des meilleures danseuses si ce n'est la meilleure danseuse de ma promotion. Mais elle n'est clairement pas mon type, et nos rapports se sont toujours limités à la danse, mais même si l'on peut parfois discuter, je n'aime vraiment pas cet aspect exubérant de sa personnalité. Au final, je me dis que ce n'est pas plus mal qu'elle rejoigne le tournage de cette série, elle sera vraiment dans son élément, là-bas, et elle laissera un peu respirer les autres danseuses...
Mais à ma grande surprise, Anna ne se laisse pas faire et lui lance un regard qui me met presque mal à l'aise, et Emma abandonne la partie (pour cette fois en tout cas). J'observe Anna, à la fois surpris et intrigué, mais amusé. C'est vrai qu'Anna m'a déjà montré qu'elle était capable de partir au quart de tour, et parfois même pour pas grand chose... Mais le petit molosse se met à rougir et fuit mon regard, laissant la place à la petite Hime. Je hausse les sourcils, interrogatif : mais comment fait-elle ça ? Comment fait-elle pour avoir deux personnalités aussi différentes dans le même corps ?
Pendant qu'elle se coiffe, elle m'appelle prof' et ça me fait sourire. Elle me dit qu'elle est prête et me demande par quoi on commence. Très bonne question.

"Avant tout, c'est à toi de me dire la danse que tu voudrais apprendre. Je sais que c'est parfois difficile de choisir, mais crois-moi, tu auras déjà de quoi faire avec une seule danse." je lui dis, en lui adressant mon habituel sourire en coin.

Elle n'a pas l'air de réfléchir trop longtemps avant de s'accorder sur le Tango et compte tenu de ses origines, ça ne m'étonne pas vraiment. Et au fond, ça m'arrange, parce que le tango est ma danse de prédilection, et celle que je préfère. Je souris donc en allant jusqu'au poste de musique :

"Très bien. Je te laisse t'échauffer, le temps que je prépare de la musique : trois tours de terrain devraient suffire. Et quelques étirements."

Je passe les boîtes de CDs les unes après les autres jusqu'à tomber sur le genre adéquat. Le Tango des assassins commence et j'esquisse un sourire en me disant qu'il sonne si juste compte-tenu du surnom dont Anna m'a affublé. Le Ninja... Je souris.
Anna a terminé son échauffement et me rejoint en étirant les articulations de ses bras et poignets. Elle me demande ce que l'on fait maintenant.

"On va travailler quelques pas. "

Je me rapproche d'elle et je tends la main pour qu'elle la prenne. Je ne me vois pas l'agripper et la tirer à moi, je suis plus délicat que ça. Elle saisit ma main et je me rapproche d'elle, je place mon autre main dans son dos et elle semble d'un coup un peu intimidée. Elle lève les yeux vers moi et je souris, amusé, en voyant ses baskets :

"Pour ce genre de danse, tu auras besoin d'autres chaussures, mais pour cette fois, on se contentera de ça... Par contre, il faut que tu te mettes sur la pointe des pieds...  "

Ma voix se fait douce et pédagogue, je l'accompagne pour qu'elle se redresse sur la plante des pieds. Je lui souris pour l'encourager :

"C'est comme si tu devais te déplacer furtivement comme... comme un ninja.  "

Et je commence à lui apprendre les bases de la danse, en lui donnant des conseils, en la guidant. Elle apprend plutôt vite, et je suis presque étonné de voir qu'elle semble beaucoup plus à l'aise qu'Emily, la danseuse qui a prit la fuite, tout à l'heure. Et le temps file sans même que j'en sois conscient...

"Tu t'en sors plutôt bien. Tu avais déjà dansé le tango ?"

Elle apprend vraiment vite, et je suis réellement surpris. Du genre agréablement surpris. J’avance plus vite avec Anna en une soirée qu’avec Emily en une semaine. Je ne dis pas que je songe à la remplacer, mais c’est plutôt agréable de donner un cours qui avance, pour une fois. J’ai soudainement envie de voir ce qu’Anna garde en réserve, et je veux la tester. Je ne dis pas que je veux outrepasser ses limites, seulement augmenter la cadence, pour voir vraiment quel rythme je peux me permettre de lui faire soutenir. Et là, encore une fois, je me fais surprendre par la jolie brésilienne, parce qu’elle soutient un rythme presque endiablé avant de finalement déclarer forfait, enfin, juste le temps de récupérer son souffle. Je dois avouer que lorsqu’elle me crie ‘Stop’ en se désengageant brutalement, je m’inquiète et la dévisage, soucieux : est-ce que je lui ai fait mal ? Ou bien je n’aurais pas dû la tester comme ça ? Elle me rassure en me disant qu’il ne s’agit que d’un point de côté et je crois l’entendre parler portugais. Je ne m’y connais pas mais ça n’a pas l’air très joli, comme mot alors je souris, lâchant un petit soupir de soulagement.
Je prends ma bouteille d’eau et profite de sa pause pour boire un peu, tout en lui coulant un regard, toujours un peu soucieux. Elle a beau me dire qu’elle ne déclare pas forfait, je la vois se masser sur son point de côté et je me sens un peu coupable. Je joue avec ma bouteille d’eau, avant de finalement oser lui dire :

"Désolé… J’ai voulu tester tes limites."

Je hausse un peu les épaules, affichant un léger sourire coupable avant de rajouter :

"Il se fait tard et pour me faire pardonner de t’avoir malmenée, je me disais que je pourrais t’offrir un verre ou un repas."

Je suis moi-même étonné : est-ce que je suis en train de l’inviter à sortir ou bien c’est juste par politesse ? Mais je dois avouer que quelque chose chez Anna me plaît, et pour être honnêtes, c’est une montagne de petits détails chez Anna qui me plaise. C’est vrai que ma dernière relation a été un véritable fiasco et que j’ai préféré me concentrer sur cursus universitaire en relayant les filles au second rang. J’ai bien eu quelques histoires d’un soir, et encore, assez peu au final, sur toute une année. Mais elle, c’est différent. J’ai envie de passer du temps avec elle, et la danse qu’on vient de partager me conforte dans l’idée qu’elle m’a jeté un sort… C’est assez difficile à expliquer mais je sens bien que même si l’on est diamétralement opposé, elle et moi, quand on danse, c’est comme si… Je ne sais pas, comme si ça coulait de source. Un dialogue sans accroc. J’ai l’impression d’avoir eu la conversation la plus naturelle et sensuelle avec Anna…
Je souris, lui coulant un nouveau regard un peu timide mais terriblement sincère quand je lui avoue que :

"Tu es vraiment talentueuse… Je ne plaisante pas : tu apprends vraiment très vite, tu es à l’aise. Tu te débrouilles mieux que ma partenaire acuelle… "

Ce n’est peut-être pas très sympathique pour Emily mais il faut admettre qu’Anna est particulièrement douée.

Elle est modeste et je trouve ça plutôt charmant. Je lui souris puis je vais éteindre le poste et ranger le matériel que j’ai sorti.

"Non, je t’assure, tu as du talent, tu devrais songer à te réorienter."

Et je plaisante à peine, parce qu’elle serait vraiment douée. Mais, je pense que ça finirait par coincer. Anna a l’air d’être une personne plutôt indépendante, et un brin… explosive. Je pense qu’elle aurait du mal à soutenir le rythme des entraînements sans s’énerver. Attention, je ne mets pas en doute son endurance et sa persévérance, parce que là, je suis sûr qu’elle s’en sortirait. Pour ce qui est de subir les commentaires et autres remarques des professeurs, je suis tout d’un coup moins certain…
J’en profite pour éteindre toutes les lumières puis, je redescends de l’estrade et récupère mon sac en rejoignant Anna. Elle me demande si l’on a fini pour aujourd’hui et surtout s’il y aura une prochaine fois.

"C’est fini pour ce soir, oui. Pour être honnête, je ne m’attendais pas à ce qu’on arrive à faire tout ça dès le premier cours. "

Elle me coule un regard timide en jouant avec ses cheveux – elle a l’air d’une petite sauvage et je souris :

"Et ça ne tient qu’à toi, pour une prochaine fois. Même heure, même endroit, tu as juste à me prévenir un peu en avance. "

Je l’invite à me suivre et je lui tiens la porte du gymnase pour qu’elle puisse sortir avant de lui emboîter le pas. Je ne sais pas trop où l’inviter, et je ne sais pas si elle veut se changer avant.

"Est-ce que tu aimes les pizzas ? " Je souris avant de rajouter, pour m’expliquer : "C’est un peu le plat ‘réconfort’, après une journée presque interminable : c’est bon, c’est calorique et elle vient jusqu’à toi grâce à un livreur… Si tu préfères autre chose, on peut toujours sortir, aussi…"

J’ai du mal à me rendre compte, ça ressemble un peu trop à une invitation ? La pizzas, c’est vrai que c’est bien, mais on la mange où ? Dans ma chambre, avec mon colocataire qui a également l’air d’être son ami ou petit-ami ? Et puis, c’est pas un peu bizarre pour le coup ?

Je ne sais pas où elle compte m’emmener mais elle a l’air plutôt excitée à cette idée. Je suis un peu surpris par ce côté très pétillant de sa personnalité. Disons que je ne m’attendais pas vraiment à ce que la perspective de partager une pizza avec moi suscite un tel intérêt. Elle m’abandonne dans le couloir après m’avoir demandé de me charger de récupérer les pizzas, et je l’observe disparaître au détour d’un couloir, les yeux encore ouvert de surprise : pourtant, je devrais avoir l’habitude avec Lou, mais Anna est différente. Je ne dirais pas bipolaire, mais elle semble composait de deux facettes qui coexistent dans le même corps. C’est à la fois fascinant et amusant. Je souris et prends mon téléphone en me mettant en route pour mon dortoir. Je commande deux pizzas à la pizzeria juste à côté de l’université. Elle m’a dit de choisir, qu’elle aimait de tout, mais je vais éviter les saveurs un peu trop exotiques et rester dans les valeurs sûres, avec pepperoni, fromage etc. La jeune femme que j’ai au téléphone me dit que ce sera prêt d’ici une vingtaine de minutes et qu’elle peut m’envoyer quelqu’un jusqu’au campus pour la livraison, ce que j’accepte volontiers.
J’ai donc une vingtaine de minutes pour aller me changer. Je rentre dans ma chambre : mon colocataire Adrian est là, en train de préparer un sac de sport. J’ai cru comprendre qu’il faisait de la boxe. Je le salue rapidement : on a beau ne pas être spécialement amis, je ne suis pas du genre rancunier pour la vie, et si c’est pour faire la guerre pendant toute l’année scolaire, on n’a pas fini. Alors autant faciliter la chose. J’attrape mes affaires pour la douche ainsi que des vêtements de rechange, un jeans et un tee-shirt.
Quand je reviens de ma douche, Adrian n’est déjà plus là. Je pose mon sac sur mon lit, étant ma serviette et presque immédiatement, mon téléphone sonne pour signaler la présence du livreur. C’est un bon timing ça.
Je récupère les pizzas, règle le livreur et j’attends Anna, avec une légère boule d’appréhension dans le ventre. C’est stupide, pourquoi je stresse ? On va juste manger une pizza, ça ne devrait pas me mettre dans cet état. Elle arrive et un peu malgré moi, mon regard glisse sur ses jambes : de très belles jambes, qui j’en suis certain, se prêtent parfaitement à la danse. Je suis prêt à parier qu’elle porte très bien les talons. Je relève subitement les yeux : vraiment, ce n’est pas très poli de reluquer ses jambes, Ash’… Elle me dit qu’elle sait exactement où aller et je la suis, un peu incertain. Elle m’entraîne jusqu’au toit et je dois avouer que les escaliers furent une véritable torture : elle a de jolis jambes, c’est certain, mais difficile de détourner le regard quand la demoiselle se trouve juste devant, en jupe. Je déglutis péniblement en choisissant de planter mes yeux sur mes pieds ou sur la pizza, au choix, pour ne pas passer pour un pervers ou je ne sais quoi d’autre. Le malaise…
Je suis ravi d’arriver sur le toit et de pouvoir enfin relever les yeux sans être gêné. La vue est véritablement charmante – mais pas autant que les jambes d’Anna… Anna récupère une pizza.

« J'ai pensé que ce serait plus sympa ici ! »

"Tu as eu raison, c’est vraiment très joli…"

Et je ne sais pas si je suis en train de parler du décor ou bien d’Anna. On échange un regard, un sourire, puis elle me dit :


" J'ai pensé qu'on pourrait s'asseoir là-bas sur le mur. Ne t'en fais pas, si jamais tu as le vertige, le toit continu un peu en pente alors on ne voit pas directement en bas. Ça te va ?"[/b]

Je souris : elle me fait penser à un chat, à rechercher la hauteur, et je nous trouve enfin quelque chose en commun, en plus de la danse.

"Ce sera parfait. J’espère que la pizza t’ira, j’ai préféré éviter le choix… audacieux. " Je ris un peu et la suis jusqu’au petit mur, attendant qu’elle s’installa avant de m’assoir à mon tour. Nous y voilà. Je lui coule un nouveau regard puis ouvre le carton de ma pizza.

"Eh bien… Itadakimasu ! "

Je l'écoute attentivement me parler de sa passion pour l'escalade, et je souris quand elle évoque une vie antérieure d'oiseau. Un oiseau, j'aurais plutôt dis un chat, mais maintenant qu'elle le dit, c'est vrai que ça lui correspond bien mieux.

"Je peux comprendre. Quand j'étais plus petit j'étais ce... 'petit ninja'" je lui souris en reprenant son expression : "et je passais mon temps à grimper, sur les toits, sur les terrasses. Je m'y sens bien, et, au risque de faire cliché, je trouve que c'est très 'méditatif'... L'escalade, ça reste une activité risquée : tu ne t'es jamais blessé ? "

« Oh oui ! Je suis tombée une fois et je me suis cassé le poignet...ma mère était furax ! Mais tout va bien maintenant, c'était il y a longtemps ! »

Je dois faire une drôle de tête puisqu'elle s'empresse de m'assurer que tout va bien. Et c'est vrai que naturellement je me suis un peu inquiété. Cependant, je remarque qu'Anna est une véritable casse-cou et je dois avouer que c'est à la fois fascinant et amusant. Elle n'a pas l'air d'avoir peur.

" Mon beau-père est pompier et il a personnellement veillé à ce que je me rétablisse. De toute façon je suis d'une maladresse congénital, il ne se passe pas un jour sans que je me fasse un bleu. "

Je souris une nouvelle fois, amusé : une véritable casse-cou. Mais je suis un peu curieux concernant sa maladresse : je n'ai rien vu que l'on puisse rattacher à sa maladresse, jusque là, je la trouve même plutôt gracieuse, quand elle danse. C'est vrai qu'elle a parfois quelques gestes ou une démarche un peu gauche mais je trouve ça plutôt mignon, en fait.
Le silence s'est installé quelques secondes, quand Anna me pose alors une question concernant mes parents. C'est vrai que je me suis contenté de lui dire qu'ils étaient repartis au Japon, mais à vrai dire je ne sais pas trop quoi dire de mes parents. C'est une relation assez particulière. Je ne serais pas le premier à avoir une relation tendue avec ses parents, mais ce cas-ci est vraiment particulier. J'aime bien Anna mais je n'ai pas envie de l'assommer avec tout mon historique familial. De même, ce n'est pas franchement utile de lui dire que j'ai été adopté. Et j'ai également peur de passer pour un fils à papa...

"Mon père est PDG d'une compagnie d’ingénierie. Il travaille sur des concepts de véhicules. Ma mère travaille avec lui, en tant que directrice des relations internationales. Elle est interprète, entre autres. "

Je hausse les épaules en lui adressant un bref sourire : j'espère qu'elle ne va pas penser que j'ai la grosse tête, surtout qu'elle doit se douter d'après mon ton que les relations avec mes parents sont plutôt compliquées. Je lui demande à son tour de me parler de ses parents et j'écoute attentivement sans faire de commentaires. Ses parents sont donc séparés mais ça a l'air de bien se passer avec son beau-père, alors c'est plutôt bien. Je souris après sa blague : effectivement, sa mère semble aimer les hommes en uniformes.
Anna sort son téléphone de sa poche, elle l'a visiblement entendu vibrer, et je mange tranquillement pour ne pas la déranger si elle compte passer un coup de fil, mais à la place de ça...

" Eh ! Est ce que tu as appris la bonne nouvelle ? "

J'ai un gros morceau de pizza dans la bouche et je refuse de parler la bouche pleine, alors les yeux ronds comme des billes, je hoche la tête, curieux de savoir ce qui la met dans cet état.

" Noah a officiellement conquis le cœur de Luella !"

QUOI ? Je manque de m'étouffer avec mon morceau de pizza et je me mets à tousser. Comment ça 'officiellement' ? Ils sont ensemble c'est ça ?? Et elle ne m'a rien dit ? J'ai du mal à m'en remettre mais je finis par retrouver mon souffle. Je suis conscient qu'Anna ne s'attendait pas vraiment à une telle réaction de ma part. Je m'excuse, en hochant négativement la tête :

"Je suis désolé... Je... En fait, je n'en savais rien. C'est pas que ça me dérange c'est juste que... Pourquoi est-ce qu'elle ne m'a rien dit... " j'ai l'air pensif, sur cette dernière question. Est-ce qu'elle a peur de ma réaction ? "Je m'excuse, je n'ai rien contre ton frère, c'est juste que j'espère qu'il n'a pas l'intention d'ajouter Luella a son tableau de chasse..."

Je dois avouer que la réaction d’Anna n’est pas vraiment celle à laquelle je m’attendais. Après tout je viens de plus ou moins de dénigrer son frère en le traitant de coureur de jupons –ce qu’il est, je maintiens malgré tout- mais plutôt que de sortir les griffes, Anna me donne presque raison. Cependant, elle tourne la chose en faveur de son frère, du moins, c’est l’impression que ça me donne. Je ne la coupe pas, me contentant de l’écouter parler. Je fronce les sourcils de surprise : elle est en train de me dire qu’il est honnête avec ces filles, et qu’en leur laissant bien comprendre qu’il n’attend rien d’autre d’elle qu’une partie de jambes en l’air, les choses tournent quand même en sa faveur ? Anna fait une pause pour prendre une gorgée d’eau et ce qu’elle annonce par la suite me fait hausser les sourcils : cette fille est incroyable. Elle vient de traiter les conquêtes de son frère de parfaites idiotes. Elle semble remarquer mon étonnement car elle reprend immédiatement :
« Non mais c'est la vérité. Penses-y ! Il ne leur fait pas de promesses, ne s'intéresse pas plus que ça à elles, parfois il ne demande même pas leurs prénoms et la plupart du temps de demande aucun numéro. Si tu veux mon avis il faut vraiment être une imbécile pour croire qu'un type qui ne montre aucun intérêt pour toi hormis ce qu'il y a sous tes vêtements va soudainement tomber amoureux de toi. »
Je dois avouer qu’elle marque un point. Je retiens tout juste un sourire amusé : j’essaye de rester sérieux mais le comportement d’Anna me fait rire. Je n’ai d’ailleurs pas le temps d’ouvrir la bouche qu’elle reprend déjà :
« Je ne cautionne pas tout ce que fais Noah, et je reconnais que des fois il se conduit en vrai...filho da puta mais si ces filles partent toujours en pleurant c'est aussi de leur faute. Mais avec Luella ça a l'air différent. »
Je ne parle pas portugais, mais je suis à peu près certain que Filho da puta, ça ne veut pas dire ‘enfant de chœur’… Mais je vois où elle veut en venir. Je reste un peu sceptique, même quand elle m’assure qu’avec Luella, c’est différent. J’ouvre la bouche, une nouvelle fois, mais Anna brandit déjà son téléphone sous mon nez pour me montrer un SMS de son frère.
« Il a fait un cœur dans le message. Un cœur, Ashton. Noah. Adrian m'a dit qu'il n'avait fait que parlé de Luella toute la semaine, il a des étoiles dans les yeux à chaque fois qu'il prononce son prénom et le plus important : il n'a toujours pas essayé de coucher avec elle. »
Elle a presque un petit ton sévère et j’ai comme l’impression de m’être fait remonter les bretelles. Je me sens plutôt con, l’espace d’une seconde, puis surtout amusé : ce petit air furibond lui donne l’air tout à fait charmant. Je souris et finis par plaisanter :
"Rappelle-moi de ne jamais m’en prendre à ta famille…"
Elle rougit et hausse les épaules en m’adressant un petit sourire en coin.
« Excuse-moi, je m'emporte un peu quand il s'agit de Noah. Mais je le connais et je t'assure qu'avec Luella c'est différent. Et si jamais je me trompe et qu'il ne fait que s'amuser, je lui ferai moi-même la peau. »
Je réponds à son sourire et je ne peux pas m’empêcher de l’observer. J’imagine que je peux lui faire confiance : elle connait sans doute mieux son frère que n’importe qui.
"Je comprends… C’est normal, c’est ton frère. " Même si nous n’avons aucun lien de sang, Lou est sans doute ce qui se rapproche le plus d’une petite sœur. "Je suis fils unique, mais Luella c’est un peu comme ma petite sœur. Mais si tu as confiance, alors je te fais confiance." Je lui souris et retourne à ma part de pizza.
"Dis… Est-ce que le cours t’a plu ? " J’hausse les épaules : j’ai souvent l’impression d’être un prof trop sévère…

C’est rassurant, au moins, je sais que je ne passe pas pour un tyran, quand je donne des cours. Donc si le problème ne vient pas de moi, je suppose qu’Emily est donc vraiment très sensible, à fleur de peau. Il faut que j’arrête de me prendre la tête avec ça, j’imagine.

« Ah moins que tu faisais exprès d'être gentil ? Pour me draguer ? »

J’étais perdu dans mes pensées, et sans que je puisse le contrôler, je rougis légèrement, en passant une main dans ma nuque. Gêné, je tente bien de bégayer quelque chose de cohérent mais Anna éclate de rire, visiblement amusée par ma réaction. Je lui souris en retour, en me mordant légèrement la lèvre. J’ai du mal à savoir si elle fait ça seulement pour me mettre mal à l’aise ou bien si c’est une façon de me faire comprendre que je lui plais un peu.

« Déstresse je te plaisante ! Mais sans rire, je pense que tu es vraiment un bon professeur. J'ai hâte de remettre ça !  »

J’ouvre la bouche, prêt à lui annoncer qu’elle a mon numéro, et que c’est quand elle veut, mais la vibration de mon portable m’interrompt. Je m’excuse et sors mon smartphone de ma poche. C’est un MMS, qui vient d’Emma, la danseuse avec qui j’étais en duo, avant Emily. Je fronce les sourcils, un peu étonné de recevoir du multimédia de sa part. Mais je crois que je le suis d’autant plus quand j’ouvre le fameux message pour y découvrir une photo d’Emma, en sous-vêtements, dans une pause plus que suggestive. Le message précise : « Tu ne sais pas ce que tu rates… Mais si tu changes d’avis, je suis encore là demain soir… ». Je dois tirer une tête pour le moins surprises et gênée. Les sourcils froncés, j’efface immédiatement le MMS, en me raclant la gorge. J’espère qu’Anna n’y a pas prêté attention. En tout cas, je note mentalement que j’aurai une petite discussion avec Emma. Je n’aime pas vraiment son comportement, depuis quelques temps. Si elle veut s’envoyer en l’air avec quelqu’un, en mode histoire sans lendemain, elle n’a qu’à chercher ailleurs.
Je sens le regard interrogatif d’Anna, alors je m’excuse poliment, en lui adressant un sourire un peu confus :

"… C’était rien, juste… une erreur de destinataire, je pense… Hm…"

Je n’ai vraiment pas envie de passer pour ce genre de type. Surtout pas devant Anna. Je risque une œillade vers elle, en rangeant mon téléphone dans ma poche. J’ai vraiment envie d’apprendre à la connaître, et j’aimerais vraiment être capable de parler au moins autant qu’elle, mais c’est vraiment difficile pour moi. En tout cas, quelque chose est certain, j’ai envie de revoir Anna.

"Je vais avoir un emploi du temps un peu chargé, avec la comédie musicale à gérer en plus, mais si ça te dit, on peut se retrouver en soirée ou alors très tôt le matin. "

Je réprime un bâillement : j’ai des journées très chargées, et parfois des nuits tout autant, alors je ne dors pas beaucoup la nuit, j’ai plutôt tendance à faire des micro-siestes tout au long de la journée. Lou m’appelle le narcoleptique… Elle a tendance à profiter de la situation, d’ailleurs, pour me gribouiller sur le visage par exemple… J’esquisse un sourire.

Incrédule et l'air con, je la regarde partir sans comprendre pourquoi subitement elle agit comme ça. Je n'ai pas eu le temps d'objecter, ni même de lui demander ce qui ne va pas, elle a prit la fuite. Merde, qu'est-ce que j'ai dit encore ? Et puis soudain une petite voix me dit que si je reste assis ici, la bouche ouverte, je n'aurais jamais ma réponse.

" ANNA ! Attends !"

Je saute sur mes pieds, me relevant brusquement sans en prendre conscience. J'hésite un instant à récupérer nos boîtes de pizzas pour les jeter à la poubelle, mais même si ça ne me plaît pas du tout de laisser tout ça en plan, je préfère ne pas perdre de temps et tâcher de la rattraper. Au pire, je reviendrai après. Si je ne la trouve pas avant. Ou bien si elle m'envoie bouler comme la première fois.
Je cours comme si j'avais la mort aux trousses, les sourcils froncés, tâchant de trouver le moment où j'ai dis ce qu'il ne fallait pas, mais j'en suis incapable. Déjà lors de notre rencontre, je n'avais pas compris. Cette fille est aussi imprévisible que le vent. Elle tourne, et au passage, me fait tourner en bourrique... Je la vois, à l'extérieur, traverser la cour, prête à rejoindre le bâtiment principal.

"Anna ! " Je l'interpelle, pour qu'elle ralentisse la cadence et m'attende. Je fais sursauter au passage un couple installé à un banc pour contempler les étoiles qui commencent à apparaître dans le ciel. Je m'excuse, tandis qu'ils me fusillent du regard et je rattrape Anna en me pointant face à elle. J'ouvre de grands yeux, haussant les épaules : "Anna, attends s'il te plaît... Je, est-ce que j'ai dis quelque chose ou ? J'ai fais quelque chose de mal ? " Je l'interroge, un peu perdu. Je me dis subitement qu'elle va peut-être se braquer, surtout si elle est simplement et réellement fatiguée et que je l'accuse de quelque chose. "Ecoute, je... si c'est le cas, ce n'était pas volontaire, d'accord ? Je... " J'hausse les épaules : "Je voulais seulement te proposer de continuer la danse, je... Je ne faisais pas d'avances bizarres, c'est juste que le soir on est plus tranquille et malheureusement c'est le seul moment que j'ai de libre pour être avec toi... Mais... Dis-moi simplement ce que tu veux."

Je m'étonne moi-même : je viens de courir après cette fille pour lui demander si elle veut toujours passer du temps avec moi, c'est... une première pour moi.

"Ah donc....donc tu veux vraiment continuer alors ? Parce que en fait je...je pensais que tu essayais de me faire comprendre que tu avais d'autres chats à fouetter et après tout je comprends, tu as un emploi du temps chargé et je ne suis même pas une vraie danseuse alors bon je me disais..."

Hein ? J'ai bien envie de lui dire qu'elle devrait arrêter de penser à ma place et tout simplement me demander ou bien me dire ce qu'elle a sur le cœur, parce que de toute évidence, aucun de nous n'a le décodeur pour comprendre l'autre... Je me contente cependant de hocher négativement la tête, l'air toujours un peu incrédule.

"Tu es certain alors ? Ca ne te dérange pas ? Je ne voudrais pas que tes journées te paraissent interminables à cause de moi..."

Cette fille me fait presque peur, ses réactions sont si spontanées et démesurées, je me rends compte à quel point nous pouvons être assez différents. J'ai du mal à comprendre comment elle a pu interpréter mes affirmations comme des insinuations de mauvaise volonté. Je m'empresse pourtant de la rassurer :

" Bien sûr, Anna, puisque je te l'ai proposé ! "

Son sourire se fend d'un large sourire et je crois même la deviner glousser. Les quiproquos sont si vite arrivés, avec Anna, que j'ai l'impression de jouer à Colin-maillard dans un champ de mines un 14 juillet. Si je ne fais pas un faux pas (un comble pour un danseur...) toutes les deux conversations, alors c'est un miracle.

"Super! Génial ! Vraiment ! J'ai la chance de finir mes journées à 16h quasiment tous les jours sauf le mardi et le vendredi parce que je donne des cours mais heu...le mieux c'est que tu me dises quand est ce que toi tu es le plus disponible, non ? Ce sera plus simple comme ça."

Je n'ai pas le temps de répondre qu'elle se hisse sur la pointe des pieds pour me donner un genre de petit câlin, une petite accolade qui a pour effet de me raidir presque instantanément. J'ai vraiment l'impression que deux personnes habitent dans ce corps, c'est à la fois intrigant et perturbant. Je suis surtout un peu surpris par ce changement de comportement, tout à l'heure elle prenait la fuite et maintenant un petit câlin. J'esquisse un sourire, et alors que j'hésite à rendre l'étreinte, cette dernière prend fin alors je me ravise.

"Anna, avant toute choses... Je sais pas trop comment te dire ça, parce que visiblement je m'y prends super mal quand je parle avec toi, mais... Je suis quelqu'un d'honnête et de très patient, et tu peux me faire confiance, tu n'as pas à douter de ce que je te dis, je ne te mentirais pas." je lui assure avec un sourire, comme si je faisais la promesse de toute une vie. Je me racle la gorge, espérant que cette nouvelle phrase n'est pas soumise à interprétations... Je veux seulement qu'elle puisse me parler librement et surtout, qu'elle puisse me dire ce qui ne va pas ou bien si elle a un doute.

"Et pour le prochain cours, je pense qu'après-demain soir, ça devrait être possible. Demain soir, je dois travailler sur la chorégraphie, pour la pièce. Alors je compte sur toi pour travailler tout ce qu'on a fait ce soir." je rajoute, dans un sourire.